Dans la nuit de l’aciérie endormie brûle un grand feu. Cinq témoins, cinq anciens ouvriers des hauts-fourneaux se tiennent dans la lueur des flammes.Ils ont tous travaillé ici durant de longues années, et ont contribué à l’histoire industrielle de la région. Aujourd’hui, ils se retrouvent dans le gigantesque complexe désaffecté pour raconter.

S’approcher d’un ouvrier, écouter sa voix hésitante s’élever dans la nuit. Peu à peu, ses mots éveillent des sensations, des bruits, des images. Il parle de la cuve de fonte où bouillonnait le métal en fusion, de la chaleur, du vacarme des rouages déplaçant la cuve. Et devant nous, dans l’obscurité de l’usine auparavant en sommeil, ses souvenirs éveillent la matière: les parois des murs se redressent, les machines sortent de leur torpeur, les engrenages se remettent en mouvement, la cuve immense s’élève de nouveau au-dessus de nos têtes et son rougeoiement d’enfer projette son éclat sur tout ce qui l’entoure…

Chaque nouvel ouvrier abordé tire de l’immobilité et du silence un pan de l’aciérie qui, à travers ses mots, reprend vie sous nos yeux : les vestiaires où deux cent ouvriers enfilaient chaque matin l’«uniforme», le plancher de coulée qui livrait la fonte, la cokerie, les cheminées fumantes dans la vallée de la Moselle…

À la fin de leurs récits respectifs, les hauts-fourneaux se sont totalement éveillés.